Nous avons oublié de demander son nom. Non, pas oublié, c'est evasif. Nous ne l'avons pas demandé serait plus exact. Ou nous n'avons jamais eu l'occasion de lui demander quoi que se soit. Mais pourquoi ne nous l'a-t-elle pas dit quand même ? Je sais pourquoi. Si nous savions son nom nous saurions qui elle est, mais nous en sommes encore à la trouver. Elle surprend, surgissant n'importe où et partout. Cette fois elle est venue principalement de mes sculptures sonores, progressivement, au fil de plusieurs années. Venue du crissement du crin de cheval contre l'ardoise, de la bulle qui gargouille en remontant dans son tuyau... Des sons et des formes qui évoquaient le souvenir ancien d'opportunités rêvées irréalisées il y a des années. Et des visions fugaces d'un monde futur. Des moments de joie pure qui disparaissent aussitôt reconnus. Mais bien qu'elle soit partout il nous faut chercher encore, et maintenant nous avons appris à regarder dans les interstices. Elle comble l'espace entre un son et une vision et ils ne font plus qu'un. Elle suit le parcours du mot qui n'existe d'abord que comme pensée dans une tête, puis comme impulsion musculaire dans le larynx avant d'être libéré sous forme de vibrations dans l'air, par la membrabe du tympan. Un tourbillon de sens en transformation. Non. Soyons honnêtes. Nous ne voulons pas connaître son nom. Nous avons peur de connaître son nom. C'est la recherche que nous aimons et que nous connaissons. Observez les formes triangulaires qui rigidifient une structure mais permettent à l'intérieur un mouvement gracieux et sûr. Ou les bords adoucis des pierres dures, travaillées par l'eau pendant des siècles dans un lit de rivière. Observez le son de tyrolienne entre les différents registres d'une voix. Observez la douce harmonie d'une contrebasse qui répond au vent dans les feuilles, sachant que les feuilles ne pourront jamais lui rendre la pareille. Ou la résonance insaisissable d'un réseau de tunnels creusés sous la terre. Observez - en vous pas en moi - ce sentiment de se connaître de mieux en mieux, de parvenir d'une manière ou d'une autre à faire face à vos peurs, vos désirs et vos fiertés secrètes. Regardez la confiance entre une personne et le monde, elle qui espère toujours après les générations et la moitié d'une vie passées à voir ses rêves meutris ou brisés. Elle a un chant. Et
il est venu des sculptures. Ca, du moins nous le savons. Et qu'il change
sans arrêt. Bien sûr nous le perdons parfois, mais jamais
pour longtemps, et il revient toujours. Non, ne nous soucions pas de son
nom. J'ai compris maintenant. Impossible de connaître son nom.
Il n'y a qu'elle qui puisse. |